Un A330 Phénix ravitaillant deux Rafale à l'aide des perches de ravitaillement, au-dessus d'un théâtre d'opérations.

Le ravitaillement donne des ailes

Au coeur des opérations militaires d'hier, d'aujourd'hui et de demain, le ravitaillement stratégique permet à la France de projeter et de soutenir ses forces dans le monde entier.

Le Phénix prend son envol

Avec la réception de son huitième avion A330 MRTT en début d'année, la France poursuit la modernisation de sa flotte aérienne de ravitailleurs stratégiques.

Avion ravitailleur de nouvelle génération de l’armée de l’Air et de l’Espace, l’A330 MRTT dispose de capacités dont les prouesses parlent d’elles-mêmes. Une envergure de 60 mètres, un emport allant jusqu’à 110 tonnes de carburant, soit 20 % de plus que son prédécesseur C-135, lui permettant de ravitailler simultanément deux chasseurs ou un avion de surveillance E-3F Awacs: le Phénix, associé au Rafale, est le remplaçant incontesté du binôme Mirage 2000N/C-135 pour assurer la mission de dissuasion nucléaire. Polyvalent et multirôle, le gros-porteur concourt à l’ensemble des cinq fonctions stratégiques définies dans le livre blanc, à savoir la connaissance (en ravitaillant les Awacs) et l’anticipation, la dissuasion, la protection, la prévention et l’intervention. Mis en œuvre depuis la base aérienne 125 d’Istres, les huit avions ravitailleurs Phénix sont intégrés au sein de l’escadron de ravitaillement en vol et de transport stratégiques 1/31 « Bretagne ». Ce dernier est, aux côtés de l’escadron de ravitaillement en vol 4/31 « Sologne », de l’escadron de soutien technique aéronautique 15.031 « Camargue », de l’escadron de transformation Phénix 3/31 « Landes », de l’escadron de soutien technique spécialisé 15.093 et, depuis 2021, de l’escadron de transport 3/60 « Esterel », rattaché à la 31e escadre aérienne de ravitaillement et de transport stratégiques (EARTS). Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les équipages MRTT du « Bretagne » se placent en première ligne des opérations, ravitaillant « quotidiennement dans les premiers mois, puis régulièrement depuis quelque temps, les avions de chasse et de détection français et étrangers déployés dans le cadre de l’OTAN », indique le lieutenant-colonel Benoît, commandant en second de l’escadron. En octobre dernier par exemple, un A330 Phénix a permis à deux Rafale d’assurer deux missions de Combat Air Patrol en Pologne, et d’apporter une élongation supplémentaire à une patrouille de F-18 américains au-dessus de la Hongrie. Un avantage stratégique incontournable, qui assure aux chasseurs de voler toujours plus loin et longtemps, jusqu’à l’accomplissement des missions qui leur sont confiées. Né d’une volonté de moderniser la flotte aérienne, l’aéronef est capable de délivrer une à deux tonnes de carburant par minute. Tournées vers la mission de dissuasion nucléaire, ses capacités d’emport hors du commun permettent au géant d’assurer un large panel de missions.

Au coeur du cockpit de l'A330 MRTT Phénix sur une phase d'atterrissage avec la piste en vue

Avion multirôle

Permettre aux chasseurs de concourir à la dissuasion nucléaire : il s’agit sans conteste de la mission principale allouée au Phénix. « Il n’y aurait pas de dissuasion sans la composante nucléaire aéroportée, et cette dernière ne pourrait voler qu’à durée déterminée si elle n’était pas rechargée en carburant, souligne le commandant en second du “Bretagne”. En termes de missions aériennes, la partie dissuasion ne représente que 5 % des heures de vol des A330 MRTT, mais cela ne change pas le fait qu’il s’agit de notre attribution principale », complète-t-il. L’arrivée du Phénix dans la flotte aérienne permet à la France de réaffirmer son indépendance pour la mission de dissuasion nucléaire. « Nous nous entraînons à l’année pour être en mesure de, prêts à, le jour où, avec les opérations “Poker” et “Belote” notamment », ajoute-t-il. En plus d’être garants de la dissuasion nucléaire aérienne, les équipages MRTT concourent à la posture permanente de sûreté air (PPS-air), assurant ainsi la souveraineté de l’espace aérien français. En permanence, 7j/7 et 24h/24, un ravitailleur et son équipage sont d’alerte, prêts à décoller en moins de quelques heures à compter de leur déclenchement. Détecter, identifier, intervenir: tels sont les maîtres mots définissant la PPS. Pour cela, un tanker doit être prêt à être déclenché à tout moment, dans l’éventualité où les chasseurs ou l’avion de détection et de surveillance aéroportées Awacs ayant décollé d’alerte aient besoin d’une élongation supplémentaire, et donc d’un ravitaillement stratégique. Il est à souligner que l’A330 MRTT dispose de deux systèmes de ravitaillement, en fonction du type d’aéronef qu’il doit soutenir. Le premier, le pod, est un tuyau assorti d’un panier permettant de ravitailler les avions de chasse français, comme les Rafale et les Mirage 2000 par exemple. Grâce aux deux pods dont le Phénix dispose, deux chasseurs peuvent se réapprovisionner au gros-porteur de manière simultanée. Le second système, appelé Advanced Refueling Boom System (ARBS), est une perche rigide capable de s’imbriquer dans les aéronefs qui ne sont pas équipés de perche, tels que l’Awacs et certains chasseurs américains par exemple. « On ne peut pas ravitailler simultanément en pod et en boom, on ne peut faire que l’un ou l’autre. En revanche, sur une même mission, il est possible d’employer les deux systèmes de ravitaillement l’un après l’autre, et donc d’approvisionner un Rafale, puis un Awacs quelque temps après », souligne le lieutenant-colonel Benoît. Quelle que soit la technique utilisée, le militaire en charge de la procédure effective de ravitaillement en vol n’est autre que l’Air Refueling and Cabin Operator (ARCO), anciennement qualifié d’Opérateur de ravitaillement en vol (ORV) sur les machines plus anciennes. Celui qui assurait sa mission mécaniquement depuis l’arrière de l’avion sur C-135, l’effectue aujourd’hui aux côtés des pilotes, depuis une console dédiée sur l’A330 MRTT, et ce grâce à un système de caméras et d’images 3D. Un véritable saut technologique, rendu possible par le biais de systèmes modernes et automatisés du tanker dernier génération. « L’ORV, expert technique du C-135, a une responsabilité centrée sur la conduite de mission. L’ARCO, quant à lui, en plus de la mise en œuvre de la phase de ravitaillement, joue un rôle essentiel dans la préparation tactique des missions en lien avec les équipages des avions de chasse convoyés. Il peut aussi exercer les responsabilités de chef de cabine. Ses fonctions sont extrêmement polyvalentes », indique le lieutenant-colonel Cyril, à la tête de l’escadron de transformation Phénix 3/31 « Landes ».

Une demande d'emploi accrue

Les ravitailleurs dernière génération tiennent également l’alerte Morphée (module de réanimation pour patient à haute élongation d’évacuation), permettant la prise en charge et l’évacuation des blessés légers et graves. Grâce à sa possible organisation en configuration médicalisée lourde, le nombre de passagers évacuables en MRTT est plus important que la capacité dont disposait le C-135. « Si les avions de l’escadron de transport 60 de Villacoublay peuvent transporter un ou deux blocs opératoires, les Phénix peuvent en intégrer dix. Nous pouvons également y intégrer 40 modules plus légers. S’il y a une grosse attaque qui se déroule sur une base française en opérations extérieures, avec beaucoup de blessés graves qu’il faudrait rapidement rapatrier, c’est l’A330 MRTT qui sera déployé, et non le Falcon », précise le commandant en second du « Bretagne ». En revanche, il faut plus de temps pour le gros-porteur pour décoller en version Morphée, puisqu’il faut installer les conséquents modules de soins intensifs, de l’anglicisme Intensive Care Modules (ICM). « Il faut imaginer qu’on se retrouve comme dans une salle d’opération, avec un chirurgien, un infirmier anesthésiste, un infirmier en réanimation… l’équipe médicale est complète et doit l’être, pour pouvoir prendre en charge les patients à rapatrier », ajoute-t-il. Autre mission phare du Phénix : la projection de force et de puissance, c’est-à-dire à la fois de fret et de personnel. Le ravitailleur peut en effet transporter, d’une traite, 272 passagers à quelque 8 000 km de distance. L’année dernière, les équipages MRTT se sont illustrés au cours de l’opération Apagan, mission au sein de laquelle ils ont rapatrié des ressortissants français et étrangers d’Afghanistan vers la métropole. De multiples rotations sur une dizaine de jours ont permis à la France de rapatrier des milliers de personnes qui tentaient de fuir la terreur, un dévouement alors salué par la ministre des Armées de l’époque, Florence Parly. Véritable couteau suisse aérien, le Phénix assure également le déploiement en opérations extérieures des avions de chasse, mission que l’on appelle convoyage, ainsi que le ravitaillement en vol organique des aéronefs en entraînement au-dessus de la métropole. L’appareil de dernière génération permet, par exemple, de convoyer quatre Rafale à Djibouti ou aux Émirats arabes unis, ou encore deux chasseurs jusqu’à Cayenne, en Guyane. La contenance du ravitailleur s’élève à près de 110 tonnes de carburant, ce même carburant qui est aussi redistribué aux aéronefs qui viennent s’approvisionner auprès du tanker. « Dès le début du conflit sur le flanc est, le 24 février 2022, les MRTT de l’escadron ont participé quasi quotidiennement à des missions de ravitaillement en vol. Cet engagement de haut niveau a modifié le spectre des autres missions que nous devions accomplir simultanément, puisque nous ne pouvions pas tout assurer en même temps. Une partie des missions de pur transport a ainsi été confiée à l’“Esterel”, qui nous a permis d’assurer celles de ravitaillement en continu. Nos équipages ont ainsi ravitaillé des chasseurs aussi bien français qu’étrangers, engagés ensemble dans le cadre de l’OTAN », développe le commandant en second du «Bretagne ». La multiplicité des missions associées au ravitailleur de dernière génération augmente le nombre d’organismes opérationnels pouvant demander son déploiement. Commandement des Forces aériennes stratégiques (CFAS) pour la dissuasion, état-major des Armées pour le transport des troupes, Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA) pour la mise en œuvre de la posture permanente de sûreté aérienne (PPS-a) et l’exécution de missions comme Apagan, Commandement des forces aériennes (CFA) pour permettre aux chasseurs de s’entraîner quotidiennement dans le ciel français ou encore l’European Air Transport Command (EATC), responsable de mutualiser l’ensemble des vecteurs aériens européens pour le transport des sept pays qui y adhèrent: la liste des organismes demandeurs est longue. Ces derniers émettent leurs requêtes à la brigade opérationnelle et au bureau emploi du CFAS, qui agrée les demandes en fonction de la disponibilité des vecteurs. « Au début de la livraison des MRTT, lorsque nous avions seulement trois appareils, le turnover était extrêmement important puisqu’ils étaient très demandés. Aujourd’hui, au plus nous recevons de Phénix, au mieux nous pouvons répondre aux multiples sollicitations des différents commandements et ainsi, exécuter l’intégralité du spectre de missions opérationnelles que peut offrir ce ravitailleur dernière génération », conclut le lieutenant-colonel Benoît.

Un A330 Phénix dans son entièreté, en vol, au-dessus de l'Europe avec un Rafale à l'approche