Valérie André : une Aviatrice d'exception

Le général Valérie André a inspiré des générations d'Aviatrices et d'Aviateurs et a contribué à l'ouverture des métiers de l'armée de l'Air et de l'Espace. Retour sur un parcours hors normes.

Indochine - extrait de carnet de vol

Le capitaine André rédige dès 1954 un carnet de vol portant sur ses missions en Indochine. Alternant entre les missions de médecine de guerre et d'évacuations sanitaires aéroportées, Ici Ventilateur ! demeure un témoignage prenant et humain sur la guerre d'Indochine. La première partie de l'ouvrage est rendu accessible gratuitement par la Bibliothèque nationale de France (BnF) à cette adresse. En voici un court extrait :

Le capitaine Santini et le sergent Fumat, chacun sur son appareil, décollent l'un après l'autre. Plusieurs rotations sont prévues. Pendant tout l'après-midi, l'opération se poursuit normalement, mais alors qu'il ne reste plus qu'un blessé à évacuer, je me risque à demander à Santini l'autorisation de l'accompagner. Je ne pèse que 45 kilos et ne serai donc pas gênante. Quelle occasion pour moi de piloter ! Et sous sa surveillance ! N'est-ce pas l'instant de lui prouver que ses leçons de navigation théorique portent leurs fruits ? A ma stupéfaction, il accepte et nous nous envolons cette fois pour une vraie mission.

La carte largement étalée sur les genoux, je m'applique à ne commettre aucune erreur de cap.
— Où sommes-nous ? me crie Santini.
Mon doigt trouve le point précis ; pour se repérer ces rivières de Cochinchine sont précieuses et traîtresses à la fois.
Ce jour-là, le ciel est parfaitement pur, l'appareil aussi maniable qu'à l'accoutumée. Trop absorbée par ma mission, je n'ai vraiment pas le loisir de songer à l'éventualité d'un atterrissage forcé dans une région contrôlée par les Viets et que je survole pour la première fois en hélicoptère. D'ailleurs Santini est là. Une demi-heure de vol nous amène au-dessus de la forêt. Une clairière, sorte d'entonnoir que j'aperçois, me semble être le point prévu pour l'atterrissage; je m'en approche. Santini ne dit mot, m'arrache les commandes et amorce une descente en spirale. Autour d'un brancard quelques hommes attendent. Barbus, torse nu, ils nous pressent de repartir.

Comme Santini, je saute à bas de l'appareil. Le blessé, un Français atteint au pied, gît sur un brancard. A l'expression de son visage, je comprends qu'il a eu peur, très peur d'être oublié. Nous le glissons dans le panier de gauche et, pour compenser son poids, je me recroqueville dans la cabine, tout contre la paroi de droite. Santini met les gaz aussitôt. Il se fait tard et les hommes qui assuraient la garde du blessé disparaissent déjà sous les arbres. Il leur faut rejoindre leur compagnie avant la tombée de la nuit.
Pas un souffle de vent au fond de la cuvette ! L'hélicoptère ne prend de l'altitude que péniblement. Nous nous élevons pouce par pouce. Brusquement Santini précipite le Hiller droit devant lui, gagne de la vitesse, vire, vire, et finalement, d'un bond impressionnant, saute les arbres. L'obstacle passé, j'ai droit aux commandes.
— Alors, André, vous avez vu ? Pourriez en faire autant ?
Moqueur, il attend ma réponse; du coin de l'œil je le vois bien.
— Oui, bien sûr ! — Je laisse tomber ma petite phrase.
Tant d'assurance, loin de le convaincre, le scandalise, j'en suis certaine.
— Vous ne doutez de rien; il faudra encore me faire des heures de vol et, après, on verra ! bougonne-t-il.

 

Texte : Bibliothèque nationale de France